Ce que l'avenir nous réserve
Les conséquences de la scission libéral-NPD et la menace d'un government Poilievre
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Selon la vision marxiste classique, les germes du futur existent déjà dans le présent et doivent en être conceptuellement désengagés, à la fois par l'analyse et par la pratique politique [...]. Au lieu de la tentation soit de dénoncer les complaisances du postmodernisme comme symptôme final de la décadence, soit de saluer les nouvelles formes comme annonciatrices d'une nouvelle utopie technologique et technocratique, il semble plus approprié d'évaluer la nouvelle production culturelle dans le cadre de l'hypothèse de travail d'une modification générale de la culture elle-même avec la restructuration sociale du capitalisme tardif en tant que système.
—Fredric Jameson, Théories du postmoderne
J'ai commencé à écrire cet article il y a une semaine, lorsque j'ai appris de la décision de Trudeau de se retirer en mars. Beaucoup de choses se sont passées au cours de ces sept jours. Entre Meta abandonnant tout sens de modération et permettant librement les exemples les plus horribles de haine et de sectarisme, et Trump qui semble sérieux quant à la menace d'augmenter les droits de douane, nous avons assisté à une intensification rapide de l’assaut des forces de réaction contre les travailleurs. Il y a aussi la question de la rhétorique de Trump sur l’annexion du Canada, qui est rendue encore plus urgente par l’expression ouverte d’un membre d’un parlement provincial rejoindre volontiers les États-Unis.
Nous assistons actuellement à l’accélération de ce que Fredric Jameson a décrit comme la « restructuration du capitalisme tardif ».1 non seulement sous la forme d’une nouvelle production culturelle capitaliste, mais aussi d’un renforcement simultané des relations capitalistes de production, de distribution et d’échange provoqué par la poursuite continue des politiques néolibérales.
Alors que faire?
Dans leur quatrième édition, Unité dans la séparation, le Collectif Endnotes tente de nous apporter des réponses en posant d’abord la question: « Que devons-nous faire aujourd’hui, si nous sommes « pour » la révolution?2 Je ne peux pas dire que j’ai répondu à cette question de manière satisfaisante, mais je peux au moins dire que j’ai dressé un tableau de la situation telle qu’elle se présente actuellement à nous.
Qu’est-ce qu’on peut faire si nous sommes « pour » la révolution, surtout quand les conditions ne sont pas encore propices à une telle démarche? Est-ce qu'on attend? Est-ce que nous provoquons ces conditions? Je pense que nous devrions adopter une approche mesurée et examiner toutes les options qui s’offrent à nous. De tous, j’estime que l’objectif immédiat d’améliorer les conditions générales de la classe ouvrière au Canada est la meilleure option pour le moment. Cela nous permettra de construire une base de soutien large et unie qui puisse avoir une chance contre les forces de réaction croissantes qui menacent de nous entraîner sur le même chemin sanglant emprunté par le monde dans les années 1920 et 1930.
À cette fin, j’ai préparé cette brève analyse qui devrait servir d’introduction aux événements qui ont conduit à la situation politique actuelle. Il ne s'agit en aucun cas d'un compte rendu exhaustif de tout ce qui s'est passé jusqu'à la démission de Trudeau, mais plutôt d'un aperçu des aspects que j'ai jugés importants dans la conversation autour de sa démission et de ses conséquences, ainsi que de la rupture avec le NPD qui s'est avérée être le dernier clou dans le cercueil du Parti libéral. Il est important que nous, socialistes, nous informions des conditions politiques et économiques qui nous entourent, c’est pourquoi je présente cette analyse dans ce but précis.
Introduction: où nous en sommes
Après avoir fait face à des pressions considérables de tous les bords politiques, Justin Trudeau a finalement décidé de démissionner de son poste de Premier ministre du Canada. Des affrontements avec les communautés autochtones à la faillite de tenir les promesses faites aux réfugiés, les dernières années du gouvernement Trudeau nous ont tous laissé une mauvaise impression et contribuent sans aucun doute au détournement général du Parti libéral que nous observons actuellement. Alors que le chef du NPD, Jagmeet Singh, déclare qu'il est prêt à faire tomber le Parti libéral il semble que de nouvelles discussions sur un gouvernement de coalition soient hors de question, du moins jusqu'à ce que les élections soient terminées. Alors, quelles sont les conséquences de cette scission? Le NPD a-t-il raison de suivre sa propre voie et de s’opposer à ses anciens alliés de complaisance? Ou ont-ils simplement confié le gouvernement aux conservateurs? Et, plus important encore, pourquoi les socialistes canadiens devraient-ils s’en soucier?
Il existe plusieurs angles sous lesquels nous pouvons aborder cette question. Si nous envisageons les choses comme un jeu à somme nulle, nous avons déjà perdu face aux conservateurs. Je ne crois cependant pas qu’une telle approche nous soit utile et j’aimerais explorer d’autres perspectives sur le virage que prend le NPD. Premièrement, il semble évident que nous nous dirigeons vers un poste de premier ministre Poilievre (dont je développerai les ramifications plus loin dans le texte), et à ce stade, il n'y a pas grand-chose que même la campagne et l'organisation les plus intenses puissent faire pour inverser la balance. Cela ne veut pas dire pour autant que faire campagne et s’organiser sont une perte de temps; bien au contraire, ils sont plus que jamais nécessaires. Deuxièmement, l’abandon du Parti libéral signifie qu’il existe un bassin d’électeurs mécontents qui seront influencés d’une manière ou d’une autre au cours des prochains mois. Convaincre ces électeurs sera absolument essentiel si le NPD espère tirer profit de la situation. Enfin, si nous voulons réaliser quelque chose de valable, nous ne pouvons pas nous fier exclusivement à la politique et à l’élaboration des politiques parlementaires. Les tactiques parlementaires doivent être utilisées en conjonction avec une action directe et un activisme populaire qui peuvent unir de larges secteurs de la gauche pour former un mouvement de masse capable de faire entendre la voix du peuple au gouvernement. Notre meilleur espoir d’y parvenir réside actuellement dans un soutien prudent et mesuré au NPD. Bien que l’organisation soit loin d’être parfaite, le but de cet article sera de convaincre les socialistes canadiens indécis ou anti-électoralistes qu’ils ont les meilleures chances de faire avancer les objectifs de la classe ouvrière au Canada, mais aussi que cela ne peut se faire sans la capacité de demander des comptes à leurs dirigeants. Avec la menace d’instabilité mondiale qu'apporte une nouvelle présidence Trump, il devient plus important que jamais de s’unir en bloc pour se défendre contre les forces du capital et de la réaction. Même l’avant-garde la plus avancée ne peut espérer accomplir quoi que ce soit sans un mouvement de masse qui l’accompagne. Comme l'écrit Lénine dans Le « gauchisme »:
L’histoire dans son ensemble, et l’histoire des révolutions en particulier, est toujours plus riche en contenu, plus variée, plus multiforme, plus vivante et plus ingénieuse que ne l’imaginent même les meilleurs partis, les avant-gardes les plus conscientes des classes les plus avancées. Cela peut facilement être compris, car même les plus belles avant-gardes expriment la conscience de classe, la volonté, la passion et l'imagination de dizaines de milliers de personnes, tandis que dans les moments de grand essor et d'effort de toutes les capacités humaines, les révolutions sont faites par la conscience de classe. , la volonté, la passion et l'imagination de dizaines de millions de personnes, stimulées par une lutte des classes des plus aiguës.2
Je vais commencer par passer brièvement en revue les mandats à Trudeau et sa récente démission. Je vais ensuite montrer que les conséquences de sa démission mèneront probablement à une victoire des conservateurs, mais aussi que nous pouvons profiter de l'occasion pour développer un bloc progressiste solide à la place du Parti libéral en encourageant ces électeurs mécontents à se tourner également vers le NPD, ainsi que d’autres organisations qui peuvent aider à conjurer les pires excès du capitalisme néolibéral. Je vais explorer également les impacts prévus de la guerre commerciale imminente avec les États-Unis et les dommages qu’elle va causer. Enfin, je vais conclure avec certaines de mes propres prescriptions pour l’avenir de la gauche canadienne, ainsi que mettre en lumière les voix progressistes impliquées dans la lutte des classes contemporaine.
Il serait cependant naïf de penser que suivre le NPD seul est une bonne stratégie pour faire avancer les objectifs du socialisme au Canada, et nous devons toujours garder à l’esprit que tout soutien doit toujours être conditionnel à la lutte de classe plus large. Nous avons tous été témoins du glissement opportuniste des partisans du Parti démocrate et des apologistes du système électoral américain et il est important que nous restions à une telle tendance ici chez nous. Nous ne pouvons pas non plus oublier que le NPD, comme le DSA américain, est une organisation réformiste et, en tant que telle, nous ne pouvons pas compter sur elle comme moyen de mettre en œuvre des changements sociaux et économiques significatifs, mais seulement pour atténuer les pires horreurs du capitalisme. Dans Réforme sociale ou révolution?, Rosa Luxemburg nous explique que:
Les rapports entre la propriété capitaliste et l'État capitaliste évoluent dans des directions totalement opposées, de sorte que l'activité pratique quotidienne de la social-démocratie actuelle perd, en dernière analyse, tout lien avec l'œuvre pour le socialisme. Du point de vue d'un mouvement pour le socialisme, la lutte syndicale et notre pratique parlementaire sont extrêmement importantes dans la mesure où elles font du socialisme le conscience, la conscience, du prolétariat et contribuent à son organisation en tant que classe. Mais dès qu'ils sont considérés comme des instruments de socialisation directe de l'économie capitaliste, ils perdent non seulement leur efficacité habituelle mais cessent également d'être des moyens de préparer la classe ouvrière à la conquête du pouvoir.3
Ce conflit entre les deux tendances à la réforme d'un côté et à la révolution de l'autre est au cœur de la célèbre polémique entre Luxemburg et Eduard Bernstein, et est revenu une fois de plus dans nos discussions contemporaines sur l'avenir du capitalisme et du socialisme. Je ne m'étendrai pas sur le discours sur la réforme ou la révolution dans cet article, d'abord parce que cela prendrait trop de temps, et ensuite parce que je suis plus intéressé par l'exploration des possibilités immédiates face à des élections imminentes qui pourraient obtenir d'importantes concessions. pour les Canadiens de la classe ouvrière. Pour l’instant, nous ne nous attendons pas à une révolution, seulement à une amélioration de notre niveau de vie.
Révolution ou non, cependant, les prochains jours vont apporter des changements dramatiques pour nous tous. Reste à savoir si ces changements se traduiront par des victoires pour la classe ouvrière. Tout bon général connaît l’importance de la logistique malgré sa nature peu glamoureuse, et il est temps pour nous, socialistes, de faire le travail peu glorieux de construire un mouvement de masse. Diverses voix de toute la gauche se mobilisent déjà dans ce sens. Il est temps que nous les rejoignions. Mais avant de le faire, nous devons comprendre les conditions telles qu’elles se présentent à nous.
Dans cet ordre, commençons par une archéologie générale de notre situation politique actuelle.
Définir une époque
Les partis d’opposition regardent déjà les libéraux comme des vautours survolant un cadavre. En dehors du Parlement, au moins un commentateur a exprimé sa volonté de l'abolir purement et simplement. Malgré les souhaits des réactionnaires écumants de la National Post, il est peu probable que les Libéraux soient à terre trop longtemps. La seule question est de savoir combien de temps cela prendra, et est-ce que ces partis resteront au pouvoir suffisamment longtemps pour que les autres partis puissent profiter du vide du pouvoir? Le NPD, les conservateurs et le Bloc québécois n’ont pas perdu de temps pour profiter de la démission de Trudeau. Avec Trump parle de faire du Canada le « 51e État », La campagne de génocide en cours par Israël à Gaza et La guerre entre la Russie et l’Ukraine qui dure depuis près d’une décennie, ainsi que les attaques continues et persistantes contre les droits sexuels et reproductifs de la part d’acteurs de droite étant donné nos réalités politiques actuelles, les prochaines élections auront certainement des conséquences qui s’étendront bien au-delà de nos frontières.
(Adrian Wyld/La Presse Canadienne)
Je commence mon analyse par un bref aperçu des mandats de Justin Trudeau, jusqu'à sa démission et souligne la façon dont les Libéraux ont trop souvent pris le parti du capital au détriment de ses électeurs, et que chaque maigre concession faite aux travailleurs canadiens a été contrée par une acte qui soit a profité à notre propre classe dirigeante, soit a fait progresser les intérêts des grandes sociétés multinationales. Je serai également clair sur la complicité de Jagmeet Singh et du NPD dans le maintien et la défense du gouvernement libéral aussi longtemps qu'il l'a fait.
Alors, comment en sommes-nous arrivés à cela?
Le véritable travail de définition des époques que nous traversons est le travail d’un historien, ce que je tiens à préciser que je ne suis pas. Mon objectif est seulement de donner un bref aperçu du contexte historique particulier dans lequel le Parti libéral a été au pouvoir et de ses conséquences pour la classe ouvrière canadienne. J’espère montrer que, dans l’implication répétée de Trudeau dans des scandales révélant sa véritable loyauté envers la classe dirigeante, les libéraux (et Trudeau en particulier) se sont constamment opposés aux intérêts des Canadiens ordinaires.
Commençons par les résultats immédiats des élections qui ont porté les libéraux au pouvoir en 2015.
Il peut être difficile pour certains lecteurs de se souvenir du climat politique qui existait avant l’ère Trudeau. Il y a plus de dix ans, nous avons tous été soumis aux campagnes d'austérité de Stephen Harper et de son gouvernement conservateur. Finalement renversés lors des élections de 2015, les conservateurs ont cédé leur place à une nouvelle hégémonie libérale qui a promis des allégements fiscaux pour la classe moyenne, la légalisation du cannabis, l'amélioration des relations avec les peuples autochtones et des réformes du Sénat, entre autres. Nous verrons plus tard dans quelle mesure ils ont tenu ces promesses (certaines devraient déjà être évidentes). Pour l’instant, cependant, l’avenir s’annonce prometteur et les gens espèrent une nouvelle ère de libéralisation politique et sociale et, plus important encore, nous en avons fini avec Harper, ce qui est une raison suffisante pour se réjouir. Pour améliorer les choses, le nouveau gouvernement se met en route en adoptant des motions qui tiennent au moins certaines de ses promesses. Nous voyons la mise en œuvre de l'Allocation canadienne pour enfants et la légalisation (et la commercialisation ultérieure) de la marijuana, entre autres, et on voit aussi plus de promesses aux peuples autochtones. Mais nous rencontrons bientôt notre première bosse.
En 2017, le Commissariat aux conflits d'intérêts et à l'éthique a déclaré Trudeau coupable d'avoir enfreint la Loi fédérale sur les conflits d'intérêts après accepter une visite sur l’île privée du leader ismaili Karim « Aga Khan » Al-Husseini en échange d'une subvention de 15 millions de dollars à la fondation personnelle d'Al-Husseini. En ce qui concerne les offenses des politiciens, je peux dire que ce n’est ni surprenant ni dramatique. Ce que cela montre avec le recul, cependant, c’est que ce fut le début d’une tendance qui allait définir une grande partie du temps de Trudeau au gouvernement; cette tendance serait de saper ses engagements envers la classe ouvrière canadienne en faveur de l’apaisement des intérêts des entreprises. Je tiens à souligner une fois de plus qu'il ne devrait vraiment pas être surprenant que le fils choyé d'une aristocratie politique canadienne se livre au même genre de comportements vulgaires que la bourgeoisie pléthorique de la Troisième République française. À la Belle Époque!
Après avoir côtoyé de riches philanthropes propriétaires d'îles privées, notre futur ancien premier ministre s'est ensuite retrouvé dans des ennuis encore plus graves, cette fois-ci, avec le scandale SNC-Lavalin.
Si l’affaire Aga Khan n’était qu’un apéritif, le scandale SNC-Lavalin était un repas complet. Ses racines remontent à accords en coulisses entre la plus grande société d’ingénierie du Canada et le fils de l’ancien dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, Al-Saadi. Afin de garder cet aperçu bref et concis, je n'examinerai pas tous les détails dans cet article (même si je vous encourage à lire les articles que j'ai liés si vous souhaitez une image plus complète de la façon dont les intérêts du capital se frayent un chemin dans la politique). Je dirai seulement que SNC-Lavalin, une importante société d'ingénierie, s'est fait prendre à faire pression sur le gouvernement pour des changements de politique qui leur permettrait de passer sous le tapis les accusations de corruption liées à leurs relations avec Kadhafi. Comme si cet exemple flagrant des dangers du lobbying des entreprises n’était pas suffisant en soi, la réponse de Trudeau à l’affaire met en évidence le vide de ses promesses envers les Canadiens. Une fois le stratagème découvert par les membres du gouvernement, Trudeau, ainsi que 11 autres membres de son cabinet, ont forcé la démission de la ministre de la Justice et procureure générale Jody Wilson-Raybould (qui, je dois le souligner, est autochtone en tant que membre du peuple Kwakwaka'wakw) et ancienne présidente du Conseil du Trésor, Jane Philpott. Un abus de pouvoir aussi flagrant ne pouvait cependant pas passer inaperçu et, en août 2019, le commissaire fédéral à l'éthique, Mario Dion, a publié son rapport sur le scandale, accusant Trudeau d'avoir violé la Loi sur les conflits d'intérêts. Ce que cela révèle n’est rien de moins qu’une volonté d’apaiser les intérêts des entreprises à un point tel qu’elles peuvent influencer nos systèmes politiques et juridiques à leurs propres fins.
Je pourrais continuer en parlant d'autres pouvoirs discrétionnaires de ce type, comme le Scandale WE Charity ou ce qu'on appelle « elbowgate », mais le but de cette analyse n’est pas de dresser une liste exhaustive de toutes les infractions commises par le gouvernement libéral, mais plutôt de dresser un portrait général de son manque d’engagement envers les Canadiens ordinaires. J'ai également choisi d'omettre les discussions au sujet du soi-disant « convoi de camions » et de l' utilisation des pouvoirs d’urgence pour le disperser afin de garder cet article bref, et aussi parce que je crois que cet événement spécifique et ses causes et conséquences seraient mieux explorés dans un article séparé.
Maintenant, je suis sûr que de nombreux lecteurs comprennent la raison pour laquelle j’ai souligné l’origine autochtone de Wilson-Raybould dans l’affaire SNC-Lavalin. Ce n'est un secret pour personne que notre gouvernement a un bilan épouvantable en ce qui concerne le traitement qu'il réserve aux peuples autochtones, et la façon dont Wilson-Raybould a été rejeté sans pitié en faveur d'une soumission aux intérêts d'une grande entreprise doit être comprise comme le reflet de cette histoire sanglante. Depuis sa création, le Canada a été marqué par de mauvaises relations avec ses communautés autochtones: la toute première mesure prise par le pays une fois qu'on lui a accordé un minimum d'autonomie a été de s'engager dans un conflit armé avec les Métis dans ce qui est aujourd'hui le sud du Manitoba afin que le transfert du territoire résultant de l'achat de la Terre de Rupert à la Compagnie de la Baie d'Hudson puisse se dérouler pacifiquement. J'espère que l'ironie n'est pas perdue ici. Cette tendance s'étend jusqu’à l’ère Trudeau, comme nous l’avons tous constaté lors des récents conflits sur le droit des communautés autochtones à décider du sort de leurs terres. La volonté du gouvernement canadien de déchaînez la GRC comme des chiens d'attaque sur des communautés qui ont simplement essayé de protéger l'indépendance et l'autonomie que leur ont garantit, non seulement la primauté du droit, mais aussi tout sentiment de décence élémentaire, révèle l'échec du Parti libéral à s'engager envers les idéaux de démocratie et de multiculturalisme qu'il défend, et le mensonge qu’est la vision d’unité et de réconciliation qu’il promeut ostensiblement. Ce n'est donc pas une surprise que les mêmes unités de la GRC sont déployées contre des étudiants qui protestent le génocide en cours à Gaza.
Ce dernier point constitue une bonne introduction à une discussion sur la réponse (ou l’absence de réponse) de notre gouvernement à la situation qui ne cesse de se détériorer à Gaza, ainsi qu’une opportunité de souligner certains de ses autres échecs dans le domaine des relations internationales. Comme nous voyons les dirigeants du monde entier s'unissent dans leur opposition virulente au génocide, le gouvernement canadien a continué d'aider à fournir à Netenyahu et à Tsahal les armes qu'ils utilisent contre la population de Gaza., le plaçant résolument dans le camp pro-génocide. La répression des manifestations étudiantes est également une extension de leur objectif plus large de maintenir le projet impérialiste. Notre poursuite de l’exploitation des ressources minérales en Afrique de l’Ouest, par exemple, dépend de notre soutien continu à ce projet.
Ce que tout ce qui précède nous montre n’est rien de moins que le soutien continu et indéfectible des libéraux aux forces du capital et de la réaction. Leurs manœuvres cyniques pour prendre les rênes de la politique pour leurs propres gains, ainsi que ceux de l’élite capitaliste, ont coûté très cher aux Canadiens ordinaires. Il est important de ne pas rejeter la faute sur une seule personne ou organisation. Il ne faut pas oublier que les libéraux ont été au pouvoir aussi longtemps qu'ils l'ont été grâce au soutien que leur ont apporté Jagmeet Singh et le NPD. Même si cela leur a permis d'exercer une pression sur le gouvernement, et même de nous donner un nouveau régime de soins dentaires qui aidera les Canadiens ordinaires à obtenir des rendez-vous gratuits chez le dentiste, cela signifie également qu'ils ont joué un rôle décisif dans la légitimation de la place des libéraux au pouvoir, surtout après les élections de 2019. Sur une note moins critique, je tiens également à souligner que beaucoup de mots ont été gaspillés en essayant de présenter Trudeau et les libéraux sous un jour particulier ou sous un autre, mais ceux-ci s'appuient souvent trop sur une critique superficielle qui ignore les problèmes structurels plus profonds dont les libéraux ne sont qu’une petite expression de. Beaucoup peut être fait pour rejeter directement la responsabilité de tout cela sur les épaules, mais, tout comme Marx l’a dit à propos de l’œuvre de Victor Hugo, Napoléon le Petit, nous risquons, au lieu de le rendre grand, plutôt que petit, en lui attribuant personnellement toute action en la matière.3 Ignorant que les actions de Trudeau et de son gouvernement étaient seulement une expression continue de la tendance croissante à la suppression des barrières à l’accumulation capitaliste ne sert qu’à cacher les véritables mécanismes de notre oppression. C’est le genre de critiques superficielles et contre-productives que nous avons vues de la part de personnes comme Poilievre, vers qui nous allons maintenant nous tourner.
Poilievre le Petit
J'ai brièvement mentionné que les propos des détracteurs les plus virulents de Trudeau ne font qu’obscurcir les véritables problèmes au cœur du gouvernement libéral. Cela ne devrait pas surprendre puisque l’examen des relations plus profondes qui constituent le fondement de notre système politique et économique demande du travail et nous oblige à affronter des faits inconfortables sur ce système et nos relations avec lui. Le pire contrevenant, tant en termes de volume de salive gaspillée que d’incapacité (ou plus probablement de refus) de s’engager de manière critique dans ce système, est peut-être le chef conservateur Pierre Poilievre.
(Adrian Wyld/La Presse Canadienne)
Si Trudeau n'est qu'un petit homme soumis aux caprices d'un système bien plus grand que n'importe quel individu ne pourra jamais espérer l'être, alors qu'est-ce que cela fait de Poilievre, un homme si catégoriquement soumis aux forces du capital qu'il aurait aussi bien pu venir, parfaitement moulé, issu d'une salle de conseil d'administration d'entreprise plutôt que d'une formation en arts libéraux? Je pense que la question répond d'elle-même.
Mis à part les polémiques (du moins pour le moment), il est important que nous examinions les conséquences potentielles de l’arrivée au pouvoir des conservateurs lors des prochaines élections. Dans une récente discussion avec Jordan Peterson, ancien universitaire en disgrâce et figure de proue de l'extrême droite, Poilievre a comparé son opposition aux communistes et aux socialistes et a parlé d'une « répression massive », dont il reste silencieux jusqu'à présent. Cependant, il parle aussi longuement de la crise du logement et d'autres problèmes qui sont importants pour les Canadiens ordinaires. Ce que cela nous montre, c’est que les tactiques employées sont les mêmes que celles utilisées par les populistes de droite partout dans le monde.
Nous pourrions gaspiller plusieurs paragraphes sur les soi-disant lumpenprolétaires et les traîtres accusés à la classe ouvrière, mais aucun de ces paragraphes ne serait utile pour décrire le phénomène réel en question. Il n'en demeure pas moins que nos conditions matérielles se sont nettement détériorées au cours des dernières décennies, en grande partie (sinon presque exclusivement) à cause des politiques néolibérales et des politiciens qui les soutiennent: des politiciens comme Pierre Poilievre. Cette détérioration est exactement ce que soulignent les partisans du néolibéralisme lorsqu'ils tentent de démontrer que les interventions gouvernementales sont responsables de la détérioration de nos conditions économiques: des interventions qui, je vous le rappelle, ont été mises en place par des politiciens de droite à la demande d'économistes néolibéraux (peu importe si ces politiques ont été rédigées par des partis ostensiblement libéraux). Comme un serpent qui se mord la queue et réalise soudainement qu’il s’étouffe, les partisans du capitalisme néolibéral ont dû réfléchir à leur dépendance à l’égard de la démonstration des avantages apparents de l’économie de laissez-faire et du libre marché. Cela signifie qu'ils essaient désespérément de montrer que le véritable problème réside dans les éléments persistants de la surveillance gouvernementale dans l'économie et que, si ces éléments étaient finalement supprimés, tout s'équilibrerait et les lois du marché se réaffirmeraient, c'est-à-dire le serpent, essayant de se convaincre qu'il ne mange pas réellement sa propre queue, à mesure qu’il continue impuissamment de s'étouffer avec elle. Cependant, rien dans tout cela ne devrait détourner l'attention du fait très réel que nos conditions se sont aggravées et que les gens sont entièrement justifiés dans leur colère. Cette colère peut se traduire dans des cas idéaux par une prise de conscience de classe et une radicalisation, mais elle conduit aussi inévitablement à d'énormes effusions de sentimentalité révisionniste et d'idéaux romantiques sur un retour prélapsaire, où toutes les insécurités de notre société actuelle sont balayées avec la certitude de fer d'un passé organisé et finement poli: un passé qui se présente, comme une statue de marbre dans un musée, comme une chose lointaine mais tangible qui peut être vécue loin de son contexte désordonné, un contexte que certains pourraient trouver trop inconfortable pour s'y engager. Cet élan sentimental, lorsqu’il est exercé sans esprit critique, devient la source de réactions. Par conséquent, les politiciens sans scrupules désireux d’exploiter la source du sentiment réactionnaire présent dans notre climat politique actuel n’ont qu’à tendre la main et à donner l’impression de répondre à ce désir d’en recevoir toute la générosité. Cela explique le virage populiste pris par les dirigeants conservateurs et réactionnaires du monde entier. Cela montre également que la résurgence des sentiments d'extrême droite et néofascistes qui se sont infiltrés dans la rhétorique d'organisations ostensiblement pro-démocratiques et populistes en Europe et en Amérique, comme le Parti républicain aux États-Unis, Rassemblement national en France et l’AfD en Allemagne, n’est rien de moins qu’une expression des échecs économiques du néolibéralisme se déguisant cyniquement pour satisfaire ce sentiment. L’objectif, cependant, n’est pas de remplacer le néolibéralisme, c’est pourquoi il ne sert à rien de parler de « fin du néolibéralisme », malgré ses très nombreux échecs, mais simplement de détourner l’attention de ces échecs afin que les relations sociales sous-jacentes puissent être maintenu. En d’autres termes : le populisme de droite est un néolibéralisme qui tente de se sauver des conditions qu' il a lui-même créées pour qu'il puisse continuer indemne.
Alors, qu’est-ce que tout cela signifie pour les Canadiens?
Pour commencer, une victoire des Conservateurs serait sans aucun doute un désastre pour nos engagements environnementaux et garantirait, entre autres choses, un soutien continu au génocide à Gaza. Surtout, cela profiterait davantage aux intérêts des entreprises que les pires excès des compromis libéraux. De plus, les efforts accrus de privatisation promis par Poilievre ne feront qu’élargir le fossé déjà immense entre la classe ouvrière canadienne et le petit nombre de personnes susceptibles de bénéficier de ces changements. Si l’expérience du néolibéralisme nous a appris une chose, c’est bien que seule la partie la plus élevée de la classe dirigeante a tout à gagner de la déréglementation et de l'austérité. (un fait que même les économistes dits « bourgeois » reconnaissent), des gens comme Elon Musk et Jeff Bezos, mais aussi le magnat des médias et connard professionnel David Thomson, surnommé « 3e baron Thomson de Fleet » et l'homme le plus riche au Canada. Voulons-nous vraiment que plus d’argent aille à un bébé de fonds fiduciaire qui pense toujours qu’utiliser des titres médiévaux est un bon look de nos jours?
Jusqu’à présent, l’histoire du néolibéralisme a été celle d’une accumulation inimaginable de richesses entre les mains de quelques-uns aux dépens du plus grand nombre. Le fossé entre les riches et les pauvres se creuse chaque jour et on ne peut pas dire à quel point la situation va empirer lorsque les conservateurs déchaîneront toute la force du soi-disant « libre » marché sur des Canadiens sans méfiance. Tous ceux qui s’attendent à ce que la crise du coût de la vie soit atténuée par un gouvernement Poilievre s’attendent à un réveil brutal. Les prix ont déjà augmenté en raison de l’approche terne des libéraux pour réguler l’inflation et son impact sur les Canadiens ordinaires, mais cela n’est rien en comparaison de la hausse à laquelle nous assisterons sous les conservateurs s’ils décident de poursuivre de nouvelles séries de déréglementation. L’autre visage, tout aussi inquiétant, du néolibéralisme est celui de l’austérité économique. L’appel en faveur de dépenses « responsables » n’est rien de moins qu’une menace ouverte pour couper des millions de Canadiens des institutions sur lesquelles ils comptent pour leur survie. Il est essentiel de se rappeler que les efforts visant à déshumaniser ces personnes en les qualifiant comme « abuseur de BS » et en dénigrant les défis qu’ils posent à notre économie (tout en ignorant complètement l’impact des quantités incroyablement vastes de richesse siphonnées quotidiennement par la classe capitaliste) sont des grossiers tentatives à rejeter la faute au entreprises et des politiciens qui les défendent afin qu'elle puissent être transféré solidement sur les épaules des Canadiens ordinaires qui souffrent déjà suffisamment aux mains de notre système économique, sans parler du traitement réservé aux Les personnes 2SLGBTQI+, qui sont déjà confronté aux agressions de politiciens de droite partout au Canada.
Je ne sais pas comment terminer cette section autrement qu’avec une citation de l’entretien de Jordan Peterson avec Poilievre. Je pense que cela met en évidence à la fois l’étendue de ses illusions ainsi que la gymnastique mentale à laquelle les politiciens réactionnaires comme lui doivent s’engager pour déformer la réalité afin qu’elle corresponde à ces illusions. Gardez à l’esprit qu’il parle ici de Jagmeet Singh.
C’est donc classique pour les socialistes: ce qu’ils essaient de faire, c’est de changer de nom, de passer à autre chose et d’essayer d’oublier… d’essayer de faire oublier à tout le monde leurs passé. Quand je dis que lui… les socialistes ont changé de nom, je veux dire, vous savez, d'abord ils étaient communistes, puis ils sont devenus socialistes, et ensuite ils sont devenus sociaux-démocrates, et puis ils sont devenus... ils ont volé le mot libéral, et ils ont ruiné ce mot donc ils ont changé leur nom à progressistes, puis ils ont changé leur nom à woke et maintenant ils prétendent qu'ils ne veulent plus être appelés woke.5
La pauvreté intellectuelle affichée est presque impressionnante. Tout cela ne serait qu’une énorme plaisanterie s’il n’y avait pas eu les récents développements au sud de la frontière.
Anschluss canadien?
Personne ne croit sérieusement que le Canada deviendra le 51e État. Une préoccupation très réelle, cependant, concerne les conséquences de la guerre commerciale imminente et de la rupture des relations amicales avec les États-Unis pour les Canadiens ordinaires. Trop de gens cèdent déjà sous le poids de l’inflation, et la hausse du coût de la vie et les tarifs douaniers menacés par Trump ne feront qu’aggraver ces difficultés.
(Brandon Bell/Pool via Reuters)
On ne peut pas dire à quel point les choses vont empirer si nous finissons par être coincés entre la pression économique américaine d’un côté et l’austérité néolibérale de l’autre. Même si cela ne constitue pas une solution parfaite, la mise en œuvre de réseaux de sécurité sociale solides, comme des politiques de revenu de base universel et de contrôle des loyers, contribuerait grandement à protéger les Canadiens du pire du déluge à venir. Il est évident que les conservateurs ne poursuivront pas ces politiques, surtout après la rhétorique incendiaire de Poilievre selon laquelle d’autres partis conservateurs « se réveillent » pour courir après les votes, une tendance à laquelle il promet de résister. Charmant.
Par ailleurs, la réponse des Canadiens à la rhétorique lancée par Trump a été presque universelle. Le ministre néo-démocrate Charlie Angus a provoqué une petite fureur sur les réseaux sociaux après avoir exprimé son indignation face aux menaces du président élu. Mis à part les reproches mineurs concernant les sentiments nationalistes, je crois que le message, et sa résonance auprès des Canadiens, montre clairement le point: nous ne voulons pas faire partie des États-Unis. Ce point est devenu encore plus clair avec un récent sondage réalisé par Léger montrant que 87% des Canadiens sont opposés à l'idée. Cela nous laisse toujours avec la question des 13% qui sont en faveur: des gens comme le député provincial de l'Ontario Randy Hillier.
Je ne vais pas envisager l’idée de notre adhésion aux États-Unis. Je pourrais très bien écrire un paragraphe ou deux sur « à quoi ressemblerait la vie sous Trump pour les Canadiens? », mais je ne vais pas perdre mon temps ni le vôtre avec de mesquines spéculations. Je tiens cependant à souligner certaines de mes inquiétudes au sujet d'un conflit commercial et de ses répercussions possibles sur l'économie canadienne et, plus important encore, sur la classe ouvrière canadienne. Pour commencer, il est utile de rappeler à quel point nos deux économies sont liées l’une à l’autre. Avec près de 3,6 milliards de dollars (2,7 milliards de dollars américains) d'échanges commerciaux en 2023, le Canada et les États-Unis sont de loin les partenaires commerciaux les plus importants l'un de l'autre. Bouleverser cette relation étroite pourrait être un désastre pour toutes les personnes impliquées, mais Trump poursuit cette idée avec un degré de sérieux inquiétant, annonçant un énorme tarif de 25% sur tous les échanges avec le Canada et le Mexique, en vigueur dès son entrée en fonction. Les impacts d’une telle décision sont difficiles à prévoir pour le moment, mais ils ne se produiront sûrement pas aussi bien que l’imagine le président élu. Ses aspirations bonapartistes sont claires mais jusqu’à présent, il n’est qu’une farce.
Il n’en demeure pas moins que le chaos économique nuira à ceux d’entre nous qui souffrent déjà le plus sous le capitalisme. Des centaines de milliers de Canadiens vivent déjà dans des conditions de pauvreté, et leurs rangs ne feront que grossir si Trump profère des menaces sérieuses.
Où allons-nous à partir d’ici ?
Tous ces discours sur les conséquences et les ramifications appellent une réponse: que devons-nous faire face à tout cela? Pour commencer, aucun d’entre nous ne peut espérer accomplir grand-chose seul. Les chances qui nous attendent sont monumentales, et on a parfois l’impression que la défaite est assurée, mais les exemples des révolutions russe, chinoise et cubaine nous montrent qu’avec le soutien de larges pans de la classe ouvrière, même des chances apparemment insurmontables peuvent être inversées.
(Pitasanna Shanmugathas/JURISTE)
Alors, que devrait faire le NPD? Tout d’abord, il est évident qu’ils ne nous mèneront pas à la révolution, donc cela ne sert à rien d’entretenir cette idée, mais je crois qu’ils vont dans la bonne direction avec leur décision d’annuler leur soutien au Parti libéral, brisant ainsi de manière décisive la coalition qui avait permis le gouvernement a continué à fonctionner, ou plutôt à boiter, aussi longtemps qu'il l'a fait.
Nous ne pouvons toutefois pas nous leurrer en pensant que le NPD apportera quelque chose qui ressemble au socialisme. L’histoire de la social-démocratie montre clairement que nous ne pouvons pas compter uniquement sur elle pour atteindre les objectifs de la classe ouvrière.7 À cette fin, j'aimerais me détourner un instant du NPD pour souligner à quel point il est loin d'être la seule organisation à se positionner comme une voix importante dans le mouvement syndical canadien. Il faut aussi parler du travail accompli par les militants de base dans organiser des mouvements de protestation contre le génocide à Gaza et le attaque contre les droits reproductifs, ainsi que ceux des individus 2SLGBTQI+. En ce qui concerne les organisations politiques, le nouveau Parti communiste révolutionnaire, ainsi que nos deux partis communistes plus anciens et plus établis (malgré leurs défauts), sont déjà fortement impliqués dans la lutte des classes. Leur travail extraparlementaire infatigable en faveur des syndicats et des droits du travail est essentiel à l’avancement des intérêts de notre classe d’une manière qu’une organisation politique plus grande et moins radicale ne pourra jamais espérer atteindre, libérée des limites du système qu’elle opèrent à l'extérieur de. Il convient de noter en particulier le travail incroyable que les groupes d'étudiants alignés sur le PCR ont accompli pour aider à organiser des sections militantes de la gauche canadienne pour aider à la campagne contre le génocide. Toutes les activités de ces groupes démontrent l’utilité de travailler en dehors du cadre parlementaire.
Cependant, au-delà de la lutte immédiate, nous devons toujours garder à l’esprit notre objectif ultime: établir le socialisme. À cette fin, il est essentiel que nous nous concentrions sur les relations de production et les contraintes économiques qui nous lient à elles, ainsi que sur l'impact réciproque que ces deux éléments ont sur nos vies.
Mettre à nu les relations inégales au cœur de notre système économique est le projet des marxistes depuis l’époque de Marx et d’Engels eux-mêmes. L’analyse du chercheur danois Søren Mau dans son excellent ouvrage La contrainte muette: une théorie marxiste du pouvoir économique du capital nous montre comment ces simples relations économiques n’ont pas besoin de s’appuyer sur la violence directe pour se reproduire. La violence infligée quotidiennement à la classe ouvrière ne doit pas nécessairement refléter des actes directs de violence physique (même si c'est souvent le cas pour les plus opprimés d'entre nous), ni simplement la violence « douce » de l'idéologie, mais se présente plutôt comme la violence économique de la contrainte aveugle. Le simple fait que nous devons vendre notre force de travail pour survivre est une violence suffisante pour nous contraindre à perpétuer les moyens de notre propre oppression.8
Maintenant, j’aimerais terminer cette analyse sur une note d’espoir. J’aimerais bien partager l’optimisme de Marx selon lequel le capitalisme contient en lui les moyens de sa propre abolition,9 mais je crois que les nombreuses années écoulées depuis la publication de Le Capital nous ont démontré que notre système économique dominant s’est révélé plus résilient que quiconque aurait pu l’espérer. Loin d’être inévitable, le renversement du capitalisme est une tâche colossale qui doit être activement entreprise par une vaste partie de la population si l’on veut réussir. La formidable recrudescence des troubles sociaux à laquelle nous avons assisté au cours des deux dernières décennies est une démonstration encourageante de la conscience de classe qui bouillonne à la surface de notre société, mais elle ne suffira jamais à elle seule. L’échec des mouvements sociaux radicaux de la dernière décennie à opérer un changement durable en est la preuve.
C’est pourquoi les mouvements ont besoin d’un leadership fort, et pourquoi les hommes politiques qui renoncent à leurs engagements envers le peuple en faveur de l’apaisement de leurs électeurs les plus riches et des intérêts des entreprises multinationales qu’ils défendent seront toujours un obstacle à un changement social significatif. Il est donc essentiel que le NPD se montre du côté des travailleurs canadiens. Cela peut sembler désespérément naïf, surtout compte tenu de l’histoire générale de la social-démocratie, mais, du moins pour le moment, c’est le seul espoir que nous avons d’empêcher les forces de réaction de se rassembler.
Mot de clôture
En résumé, je crois que la scission entre les libéraux et les néo-démocrates permettra aux néo-démocrates d’avancer dans leur propre direction et les préparera à mieux s’opposer aux conservateurs. Cependant, le parti est confronté à des défis considérables et il appartiendra à Jagmeet Singh et à la direction du parti soit de tendre la main aux Canadiens ordinaires et de faire plus que simplement promettre de demander des comptes au gouvernement, soit de succomber complètement aux contraintes du capital et de la réaction (comme nous avons vu trop de sociaux-démocrates le faire). Nous avons besoin d’un leadership fort de la part du NPD, ainsi que d’un large front de militants populaires, d’organisateurs syndicaux et de Canadiens ordinaires qui exigent des changements significatifs. Chaque action visant à soutenir le parti doit être contrebalancée par une action capable de le tenir responsable.
Alors, en fin de compte, où cela nous mène-t-il en matière de révolution? Marx nous rappelle utilement qu’« une forme de travail salarié peut corriger les abus d’une autre, mais qu’aucune forme de travail salarié ne peut corriger les abus du travail salarié lui-même ».10 mais dans l'état actuel des choses, dans notre situation particulière, nous nous contenterons temporairement d'au moins une forme de travail salarié qui nous permettrait de ne pas avoir à choisir entre faire l'épicerie et payer le loyer pour le mois. En fait, même si nous devions céder complètement aux opportunismes du réformisme et de la social-démocratie (au grand désespoir de tout socialiste honnête), alors au moins une plus grande partie de la plus-value générée par les membres de la classe ouvrière devrait être récupérée et retournée à ladite classe. Ainsi, les programmes de redistribution qui prennent la richesse des Canadiens les plus riches et la réinvestissent dans des programmes sociaux qui aident les Canadiens ordinaires à rester à flot dans notre climat économique qui empirent toujours est le moindre dont nous devrions nous attendre. Toutefois, si nous nous considérons comme des révolutionnaires sérieux (si un tel terme peut être utilisé à ce stade), il est alors essentiel que nous prenions d’abord pleinement compte de la situation telle qu’elle se présente à nous. Il n’y a aucun sens à parler d’un mouvement révolutionnaire, ou même de conscience révolutionnaire, à moins que nous prenions des mesures actives dans un assaut sur deux fronts visant à construire un mouvement de masse d’une part et à radicaliser une partie suffisamment importante de ce mouvement vers des objectifs véritablement révolutionnaires d’autre part. autre.
Alors, où allons-nous à partir de maintenant ?
Comme je l’ai mentionné au début de cet article, nous devons nous demander sérieusement ce que signifie être « pour » la révolution. Endnotes nous rappelle l’importance de regarder le passé pour nous aider à mieux nous situer dans nos relations avec la lutte actuelle contre le capitalisme. Cependant, je veux adopter une position plus optimiste que la leur, et je veux voir le service public employer les tactiques traditionnelles de la gauche, telles que la participation au Parlement et la construction d'une large coalition progressiste (tout en évitant les lacunes des fronts populaires passés). Mais si l’expérience de telles coalitions nous enseigne une chose, c’est que les prochains jours mettront ces espoirs à rude épreuve.
Je termine par le dernier paragraphe de l’article de Søren Mau Le communisme est la liberté, car je crois qu’il résume parfaitement la vision de l’avenir pour lequel nous nous battons. Mau commence par demander:
Alors, à quoi ressemblerait la vie sous le communisme? Par-dessus tout, une société communiste serait libre, sans classes et diversifiée. Le communisme donnerait à chacun la liberté de façonner sa propre vie comme il l’entend. Le communisme serait synonyme de prise de décision plus démocratique, de moins d’heures de travail, de meilleurs logements, d’une meilleure alimentation et d’une biosphère stable, ainsi que de quelque chose que le capitalisme ne pourra jamais offrir: la sécurité économique. Sous le capitalisme, vous ne savez jamais quand les licenciements, l’inflation ou une crise économique vous couperont l’herbe sous le pied; sous le communisme, personne n’aurait jamais à craindre d’être privé de l’accès aux produits de première nécessité. En d’autres termes, une vie communiste sera libre, sûre et bonne — pour tous.11
En tant que socialistes, nous avons la responsabilité d'agir par tous les moyens possibles pour améliorer les conditions immédiates de la classe ouvrière, mais nous ne pouvons pas perdre de vue notre objectif ultime: l'établissement d'un mouvement capable de faire émerger l'organisation démocratique de la société. et réaliser le slogan souvent répété : De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins!12
—M.
Sources
Toutes sources ont été traduites de l’anglais.
Fredric Jameson, Postmodernism, Or, The Cultural Logic of Late Capitalism. Duke University Press, 1991, p. 62.
Endnotes, Endnotes 4 - Unity in Separation. Endnotes Collective, 2015, p. 73.
Vladimir Lenin, Left Wing Communism: An Infantile Disorder. Marxist Internet Archive, téléchargé en 1999, repéré de : https://www.marxists.org/archive/lenin/works/1920/lwc/
Rosa Luxemburg, Social Reform or Revolution? Marxist Internet Archive, téléchargé en 1999, repéré de: https://www.marxists.org/archive/luxemburg/1900/reform-revolution/index.htm
Karl Marx, The Eighteenth Brumaire of Louis Bonaparte. Marxist Internet Archive, téléchargé en 1999, repéré de: https://www.marxists.org/archive/marx/works/1852/18th-brumaire/preface.htm
Jordan B Peterson, Canada's Next Prime Minister | Pierre Poilievre | EP 511. YouTube, mis en ligne en 2025, repéré de:
Endnotes, Endnotes 4 - Unity in Separation. Collectif Endnotes, 2015.
Søren Mau, Mute Compulsion: A Marxist Theory of the Economic Power of Capital. Verso Books, 2023.
Karl Marx, Capital, Volume I. Penguin Classics, 1990, p. 930.
Karl Marx, Grundrisse. Penguin Classics, 1993, 1993, p. 123.
Søren Mau, Communism is Freedom. Blog Verso Books, 2023, repéré de : https://www.versobooks.com/en-ca/blogs/news/communism-is-freedom?srsltid=AfmBOopYhP2YCWbx4P2Dh8Lz2LRsicOOg0MyhebMAUNp9JcZOkgwippZ
Karl Marx, Critique of the Gotha Program. PM Press, 2023, p. 59.